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lecumeetlesjours
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9 janvier 2009

UN CHAMP DE BATAILLE

         Elle se tient sur le seuil de la cuisine, contemplant, effarée, l'invraisemblable pagaille qui y règne: la vaisselle sale, entassée dans l'évier rempli d'une eau immonde, les boîtes de conserve ouvertes à moitié entamées partout sur le plan de travail voisinant avec des reliefs douteux de repas, les coulées de sauces diverses qui maculent les murs, le sol gras et collant sur lequel la serpillière n'a pas dû passer depuis longtemps. Et, surtout, cette odeur rance de graillon comme si la pièce n'avait jamais été aérée. Le reste de l'appartement ne vaut guère mieux. Son regard s'attarde sur le  désordre indescriptible de ce qui ressemble à un champ de bataille.

         Sa mémoire remonte à ce jour où l'achat de ce petit trois pièces, dans la proche banlieue parisienne, avait été conclu devant le notaire. Avec quel plaisir elle avait ensuite aménagé cet endroit, banal et terne, pour en faire un lieu de vie chaleureux et accueillant ! Architecte et décoratrice d'intérieur, elle n'avait pas eu de mal à en redessiner l'espace, n'hésitant pas à devenir, pour l'occasion, maçon, charpentier ou peintre. Ensuite, elle l'avait rempli de ce qu'elle aimait: ces meubles sans prétention chinés dans des brocantes ou des vide-greniers, qu'elle avait restaurés, ces mille petits riens dont la valeur n'est qu'affective parce chacun d'eux est rattaché à un souvenir heureux. Elle avait consacré à cette rénovation tous ses week ends pendant des mois et le résultat était à la hauteur de ses efforts.

      Elle destinait cet appartement à sa fille, encore adolescente, quand l'heure de la séparation serait venue et si celle-ci le désirait. Et puis, les évènements en avaient décidé autrement. Quelques années auparavant, son père, gravement malade, était décédé. Il n'était pas question de laisser loin d'elle sa mère, âgée, qui se retrouvait seule en province, même si elle était encore vigoureuse, dynamique et parfaitement autonome. La vieille dame s'était installée, avec bonheur, dans les lieux.

        Cela faisait, bientôt, trois ans qu'elles vivaient l'une près de l'autre, la fille rendant visite à la mère, une ou deux fois par semaine, quand son travail,  très prenant, le lui permettait, pour s'assurer de son bien-être. C'était des moments heureux de partage, autour d'une tasse de ce thé qu'elles aimaient toutes les deux, entre évocation gourmande  du passé et nostalgie, émotion et fous rires dans une relation qui n'avait pas été toujours aussi facile.

         Depuis une dizaine de jours, débordée par une commande importante et urgente, elle n'avait pas pu se libérer pour ce rendez-vous hebdomadaire et se sentait vaguement coupable. Au  téléphone, sa mère l'avait rassurée: tout allait bien, elle ne devait pas s'inquiéter, peut-être se sentait-elle un peu plus fatiguée que d'habitude avec de légers maux de tête et quelques trous de mémoire, mais c'était dû certainement au grand ménage qu'elle venait de faire et à son âge... Mais, cela faisait deux jours que le téléphone sonnait occupé, il avait été certainement mal raccroché, cela arrivait souvent. Elle s'était promis d'aller la voir dès que possible.

          Et, ce matin, sur son portable, ce message du gardien de l'immeuble qui l'informait que les voisins de la vieille dame s'étaient plaints du bruit qui provenait de l'appartement.

        Elle s'y rendit immédiatement, inquiète.

        Sa mère, immobile sur le palier, les cheveux hirsutes, le peignoir mal boutonné, lui lança un regard mauvais.

        - Maman, que s'est-il  passé ? Que t'est-il arrivé ?

        - Madame, je ne vous connais pas. Mais, peut-être, pourriez vous me dire qui je suis et ce que je fais là ?

        Par la porte ouverte, cette vision apocalyptique …

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